Ainée de trois enfants dans une famille de comédiens, Celia Reggiani s’épanouit les dix premières années de sa vie dans le midi, dans la grande demeure familiale protégée par les champs d’oliviers ; une maison comme une thébaïde qu’elle évoque aujourd’hui encore avec un brin de nostalgie et qui lui permit de vivre à l’abri des tumultes du monde artistique. Serge Reggiani, son père, se rapprochait sans doute en vivant tout en bas de la France de ses origines méridionales et de ses amis de St Paul de Vence.

    Lorsque Serge Reggiani commence à chanter, son pianiste vient souvent à la maison pour le faire travailler sur le piano droit du grand salon. Celia, encore petite, écoute, observe, bras autour des genoux, assise immobile sur une marche de l’escalier. À son tour elle va vite poser ses mains sur les touches blanches et noires, s’amusant alors à inventer des mélodies ou jouant à retrouver celles des chansons de son père.

    La musique est déjà là, elle fleurit dans sa tête et au bout de ses doigts.

 

De la musique à la danse, il n’y a parfois qu’un pas. Celia suivra le cours prestigieux de Rosella Hightower à Cannes et gagnera souvent la première place des concours de fin d’année. L’illustre Béjart aurait alors soufflé à son père que les victoires de sa fille s’expliquaient naturellement par la relation si particulière que Celia entretenait avec la musique.

    En 1968, c’est le bouillonnement de la vie parisienne avec la reprise assidue des cours de danse et les premiers cours de piano avec Michèle Scharapan. Et puis quand Celia atteint ses seize ans elle choisit de se tourner vers une nouvelle lumière, celle du théâtre, en suivant les cours de Vera Gregh et Tania Balashova. Un an plus tard on l’engage au Théâtre de Poche : elle se retrouve à l’affiche avec Daniel Auteuil.

Mais elle n’en oublie pas pour autant la musique, passion toujours vivace, qui la fait courir dans des clubs de St Germain le soir lorsqu’elle quitte le théâtre. Elle se laisse enchanter par le jazz mais aussi par la musique brésilienne depuis qu’elle l’a découverte à travers Georges Moustaki.

    Celia, qui aime par-dessus tout l’harmonie et le groove, décide alors de faire de la musique son exclusivité. Son talent et ses rencontres la conduisent d’abord sur les chemins de la composition (série télé Les cinq dernières minutes et courts métrages de Jérôme Enrico).

 

Après avoir étudié l’harmonie avec Jean Claude Raynaud du CNSM de Paris elle tourne finalement le dos aux études classiques et quitte la France pour aller se nourrir de nouvelles influences aux Etats-Unis. Là-bas, elle s’installe à Spanish Harlem, multipliant les petits boulots, vivant aux côtés de C. Jefferson, le saxophoniste de Woody Shaw, Art Blakey, Elvin Jones. Elle puise alors dans le son du jazz new-yorkais, s’en inspire et continue sans relâche à composer et à écrire.

    De retour en France elle prend part aux claviers, à différents groupes de world music formés de brillants musiciens : Touré Kunda, Touré Touré (Daby Touré), Geoffrey Oryema, Mokhtar Samba, Ultramarine, Henri Dikongué, Volte Face (G. Décimus, cofondateur de Kassav), Tupinago, Monica Passos, Trilok Gurtu, Bernard Lavilliers et Princess Erika, parmi d’autres… un véritable tour du monde musical qui ne cessera de l’influencer.

 

Fleurissent alors des collaborations au sein desquelles Celia écrit, co-écrit, compose, explore. Son univers musical bigarré et atypique, à la frontière du jazz en matière d’harmonie, coloré par la transe des musiques issues du continent africain, séduit des artistes comme Sanchita Farruque (ex chanteuse de Nitin Sawhney), Mokhtar Samba pour lequel elle signe les arrangements de son album  Dounia. Elle arrange aussi l’album Abracadbrasil du groupe Tupinago.

 

Entretemps, Celia fait quelques incursions au piano dans le monde de la danse et du théâtre : un duo musique-poésie « Le Transsibérien » dit par Gérard Desarthe, pour le festival de Volterra présidé par Vittorio Gassman ; un spectacle monté à Abidjan par Suleiman Koli joué au théâtre Renaud Barrault ; la chorégraphie « Nuits blanches » de Philippe Trehet. Pour le cinéma elle compose la musique du film  De force avec d’autres  réalisé par son frère Simon Reggiani.

 

C’est en écrivant les paroles et la musique de « À Paris c’est l’hiver », qui est pour ainsi dire sa toute première chanson, que Celia a été traversée par l’envie et la conviction qu’elle avait quelque chose à creuser dans cette voie nouvelle, certes, mais qui ne lui était cependant pas étrangère. Elle prend alors conscience qu’elle tient enfin quelque chose qui tisse un lien profond et solide entre ses voyages, ses cheminements et ses origines, ce qu’on lui a transmis.

    À la mort de son père, la chanson « Je ne t’en veux plus » est venue à elle comme si elle lui avait été offerte… Cette chanson revêt une dimension toute particulière : elle est son message, son mantra… et une réponse possible aux questions qui parfois se soulèvent quant à sa relation avec son père

 

La « gestation » fut longue. Celia Reggiani finit par proposer ses chansons à David Linx. Cette rencontre fut déterminante puisqu’il l’a convaincue d’enregistrer un album en chantant elle-même ses chansons. Il s’est alors proposé d’être le co-réalisateur de son opus.